O toi, le plus savant et le plus beau des Anges,

Dieu trahi par le sort et privé de louanges.
les litanies de satan, charles baudelaire.

Roi du Conclave
abaddon, vampire ancestral.

Spoiler:

« I’ve never loved another. »
PAST IS PAST.

La peine était foudroyante. Elle serrait son cœur dans un étau, l’empêchait de respirer proprement, lacérait à sang tous ses membres. Il n’aurait jamais cru qu’une telle douleur puisse être possible, a fortiori alors que la jeune femme ne l’avait même pas touché. Toucher. Peut être était-ce cela la raison de son mal être. L’absence d’un quelconque contact avec sa peau de porcelaine. Si seulement, il pouvait - ne serait-ce qu’un instant - effleurer sa peau d’ivoire, cette douce texture. Alors, peut-être, que tout irait mieux. Beaucoup mieux.

Il s’approcha alors d’elle, la démarche chancelante et hésitante.

Malgré la pénombre qui régnait dans les ruelles vides, la beauté gracieuse de la jeune femme étincelait encore de mille feux. C’était lors d’un moment tel que celui-ci, que le pauvre ange ne faisait que succomber davantage à cet être irrésistible. Sans réfléchir, il se laissait charmer par le caractère docile et le sourire ingénu de la belle. Un sourire constant qui était en cet instant, invisible.

Il buvait chacune de ses expressions, chaque grain de beauté que laissait apparaître sa légère robe blanche. A ses yeux, elle était parfaite, comme toujours. Malgré son air contrit, malgré ses yeux hagards, malgré la peur et le dégoût qui se lisaient parfaitement sur son visage.

« Ne…ne me touche pas. » Le prévint-elle, d’une voix vainement menaçante.

La douleur s’intensifia, voilant son regard azur. Les yeux de l’ange n’étaient plus que la couleur d’une mer agité, d’un ciel ombrageux. Elle évitait soigneusement son regard, guettant néanmoins chacun de ses gestes.

« Je n’en ai jamais aimé une autre. » murmura-t-il, difficilement.

I’ve never loved another.

La vérité était si facile à dire. Abaddon aurait pu la crier inlassablement sur les toits de la ville. Il l’aimait. Une vérité poignante qui terrassait toutes les autres. Qu’il soit un ange, qu’elle soit une humaine…Quelle importance ? Cet amour lui donnait une force invisible mais dévastatrice. Oui, il se sentait d’une extase invincibilité.
Il était prêt à la supplier, à faire tout ce qui était en son pouvoir pour lui plaire. Implorer aux instances supérieurs de lui laisser une chance, aussi infime soit-elle. Car sans elle, il n’était qu’une épave. Un déchet pathétique et risible.

« Tu…tu n’es même pas humain….comment pourrais-tu ressentir une émotion aussi intense et complexe qu’est l’amour ? » Chuchota-t-elle à travers le silence pesant.

S’il pensait que la peine était à son summum, il n’en fut rien après ce qu’elle venait de dire. La douleur était bien pire, ne faisant que saigner son cœur davantage. N’était-il pas déjà mort ? Car la voir le rejeter ainsi était indéniablement la pire de toutes les souffrances. L’Ange de la destruction assistait à sa propre destruction.

Il ferma brièvement les yeux, comme s’il refusait de voir ce qui était en train de se produire. Abaddon secoua légèrement la tête. Les traits angéliques de son visage étaient crispés, sa mâchoire contractée faisant automatiquement bouger sa tempe droite. Son expression reflétait de façon limpide ses pensées : il s’accrochait tant bien que mal aux fugaces illusions qui lui restaient.

Bon nombre d’anges lui avaient déjà répété que la peur de l’inconnu était un véritable poison chez les humains. Cette crainte faisait apparaitre une haine si intense, qu’elle pouvait détruire des cités entières, ou provoquer un véritable génocide. Abaddon n’avait jamais cru toutes ces balivernes. Les êtres humains n’étaient pas aussi faibles. Du moins, elle, elle ne l’était pas. Une pensée naïve qu’il avait pourtant crue avec acharnement. Il se rendit alors compte que l’amour l’avait aveuglé. Purement et simplement.
Elle avait peur de lui.
L’amour de sa vie le haïssait.
Juste pour ce qu’il était.

Mais ce n’était pas uniquement le cœur de l’ange, ses sentiments qui étaient mises en jeux ce soir-là. Elle jouait l’avenir entier de l’Humanité. Et cela, pauvre petite humaine, elle ne le savait même pas. Elle était en train de le condamner à une chute vertigineuse et éternelle.

« Et…tu…tu m’as menti ! » Reprit-elle, avec plus de contenance. Elle croisa enfin le regard de l’Ange. Ses yeux noisette l’accusèrent avec vigueur, faisant chanceler l’ange devant une telle intensité. Elle le scrutait avec une nouvelle force mêlée à la crainte, le défiant de lui prouver le contraire.
« Je… »
« Tu n’es qu’un monstre, Abaddon. Et…et je ne veux plus jamais te revoir. Ja-mais. » Asséna-t-elle, d’une voix ferme.

O misérable humaine, que viens-tu donc de faire ?

L’Ange sombra dans les ténèbres.

I won't let you fall apart
PAST IS THE PAST

L’effluve qui émanait du corps inerte réveillait en lui une bestialité horrifiante. Malgré l’immonde scène qui se dressait autour de lui, l’Ange continuait à se délecter avec délice du spectacle. L’odeur nauséabonde de la Mort était partout, les membres arrachés des corps sans vie jonchaient le sol ensanglanté. Abaddon sentait un arrière goût d’Apocalypse.

A ses côtés, un autre Ange appréciait également leur première œuvre de destruction. Les deux s’échangèrent un regard, celui d’Abaddon devenant, cependant, de plus en plus incertain.

« Ce n’est que le commencement. » Commenta l’Ange à ses côtés.

Abaddon acquiesça vaguement. Il prenait peu à peu conscience de l’ampleur de ce qu’il venait d’accomplir, une once de culpabilité émergeant en son fort intérieur. Il avait beau être l’Ange de la destruction, il n’avait jamais véritablement pris goût à sa fonction. Il se contentait d’équilibrer l’ordre naturel des choses, d’appliquer des sentences aux coupables en détruisant telle ou telle chose. Pour la simple et bonne raison qu’il ne pouvait exister constamment des gagnants. Il n’avait jamais remis en cause ce fait établi, il s’agissait d’une vérité absolue, universelle à tous. Jamais, l’Ange ne s’était réjoui de ce qu’il faisait. Ainsi, cette vile satisfaction qu’il éprouvait au plus profond de son être, cette nouvelle émotion si étrange à sa personne ne lui ressemblait pas. Absolument pas. Pourtant, elle était là. Ce plaisir malsain indéniablement présent dans son esprit, se rependait tel un poison mortel dans tout son corps. L’Ange tombait, il le savait. Le plus affligeant était qu’il n’en avait que faire.

« Je ne te laisserai pas tomber, Abaddon. » Intervint une voix mélodieuse qu’il ne connaissait que trop bien.

Sortant de ses pensées, il se rendit compte que l’Ange à ses côtés avait disparu. Pendant combien de temps avait-il laissé son esprit vagabonder ? Il n’en savait rien. L’aurore naissait doucement à l’horizon, une beauté naturelle qui contrastait avec l’atmosphère putride aux alentours. Il jeta un vague regard au nouvel Ange qui venait de lui parler. Son habituelle expression si sereine était déformée par la détermination, ses yeux remplis d’espoir. Elle avait encore foi en lui, malgré l’horreur qu’il venait de commettre. Le sentiment dérageant de la culpabilité revint le tourmenter. Il ne put que fuir le regard inquisiteur de son amie, préférant fixer le levé du soleil étincelant. Un soleil que, ces femmes et enfants allongés au sol, ne reverraient plus jamais.

« Qu’est-ce que tu fais ici ? » Demanda-t-il vaguement au nouvel Ange.

Elle inspira profondément.

« Don’, pense y sérieusement. Se soulever contre nos supérieurs…vraiment ? » Lui répondit-elle, en ignorant sa question.

L’ange au bord de la déchéance se tut. Il ne répondait à aucune tentative de raisonnement.

« Je sais bien qu’elle t’a fait du mal mais-»
« Tu ne sais rien. » Nia-t-il doucement, d’un air morne.
« Ecoute, il y a sans aucun doute un moyen d’éviter-» Continua-t-elle, implorante.
« Pour la dernière fois, tu ne sais rien ! » Contra-t-il d’une voix plus forte cette fois.
« Je suis ta plus précieuse amie ! Nous étions inséparables, Don’. Un ange épaulant l’autre. Je ne vais pas te laisser tomber non plus cette fois. Tu t’es laissé aller, cette humaine n’en vaut vraiment pas la peine ! »

La gifle retentit à travers la colline silencieuse.
Il venait de lever la main sur elle. Sur une femme. Sur sa meilleure amie.

« Je… » Regretta-t-il, les yeux écarquillés.

Elle se recula, la vue brouillée par des larmes naissantes qu’elle contenait tant bien que mal. La jeune femme fronça les sourcils, indéniablement surprise et blessée.

« Va en Enfer, Abaddon.»

Elle s’éclipsa avant qu’il n’ait pu faire un quelconque mouvement.

“ We are all unkind from time to time. We all do things we desperately wish we could undo. Those regrets just become part of who we are, along with everything else. To spend time trying to change that, well, it’s like chasing clouds.”

a great and terrible beauty, Libba Gray.

Never underestimate the power of love,
I’ve seen it change many things.
NOW, THERE WILL BE BLOOD.

«Je ne comprends pas, pourquoi ça s’est passé ainsi ? »
« Pourquoi les humains sont-ils ce qu’ils sont ? Pourquoi les éléphants roses n’existent-ils pas ? Pourquoi nous, vampires, ne partons pas vivre nus dans la savane avec les lions ? Pourquoi ne vas-tu pas faire une orgie avec des nephilims ? Sérieusement, ne cherche pas à savoir ce qui est impossible à expliquer, dude. » Rétorqua Rhett, sarcastique.

Le soleil était au zénith, faisant briller de mille feux les rues du centre ville. La chaleur était cependant épouvantable, si bien que les coins d’ombres étaient entièrement occupés par une masse suante d’humaines. Les deux vampires ancestraux avaient beau être assis à la terrasse d’un Starbuck, ils pouvaient tout de même sentir l’émanation nauséabonde que produisaient les humains. Même l’odeur de caféine que Rhett appréciait tant, n’arrivait pas à chasser celle de leurs réserves de sang. C’était intolérable. Il regretta amèrement d’avoir accepté de rencontrer son vieil ami dans un endroit aussi immonde.

« Abaddon, j’ai quelque chose à te dire. »
« Quoi encore ? » Siffla-t-il entre ses dents, d’un ton faussement condescendant. Il eut un léger sourire, excusant presque son attitude moqueuse.
« J’ai rencontré une jeune femme. »
« Grand bien t’en fasse » se moqua Rhett, en faisant semblant de boire son verre. « Je connais tes goûts en matière féminine, et je ne peux que te féliciter. En espérant néanmoins que celle-ci écartera les jambes plus facilement que la dernière que tu avais ‘ensorcelée’ une humaine. »
« Ce n’est pas… » Souffla le vampire. « C’est délicat. Elle ressemblait à…disons qu’elle me dit quelque chose. » Il croisa le regard incisif du roi du Conclave. « Elle lui ressemblait, Rhett. » Se rembrunit-il, hésitant.

Il ne lui fallut que quelques secondes pour comprendre à qui faisait référence son sous fifre. Le vampire ancestral avait beau être parfois agaçant, il en restait un fidèle allié, et le seul vampire – à l’exception de son ancienne meilleure amie - à connaitre l’existence passée et la véritable raison de la déchéance d’Abaddon. Elle.

« C’est impossible. » Affirma le Rex, le visage dénué de toute expression.
« Comment en peux-tu être aussi sûr ? Lorsqu’elle est partie, aucun de nous n’a eu de nouvelles. Elle a peut être été transformée quelques années plus tard. Ou elle a sans doute du refaire sa vie avec un autre humain ? Elle a peut-être eu une descendan-»
« Écoute-moi bien. NE RÉPÈTE CA, à personne. Est-ce clair ? Elle] est morte il y a des milliers d’années. Une humaine parmi tant d’autre qui a suivi le funeste destin qu’elle partage avec tous ses semblables. Elle est morte. »

Le vampire ancestral acquiesça, craintif de la réaction de son roi. Rhett avait beau être d’un sang froid imperturbable, il savait pertinemment que ce sujet tabou était son point faible, l’une des seules failles qui savait fendre la carapace désinvolte de Rhett. Cette hypothèse venait d’être prouvée quelques secondes auparavant : ce n’était plus les traits de Rhett, Rex du Conclave et puissant vampire ancestral, mais le visage douloureux et rempli de remord d’Abaddon, l’ange déchu au cœur brisé, qu’il avait aperçu sur cette terrasse. Dieu merci, personne n’avait connaissance de ce détail. Et il comptait bien garder ce secret pour lui jusqu’à la fin de l’éternité.